La République Libre du Haut de Trun

Cela se passait aux environs de 1928/1934, une bande de joyeux lurons, échappés des combats de la guerre de 1914, décidèrent de créer une République dans le haut du bourg moins pourvu en commerçants que le centre et la partie Ouest. Bref, on se serait cru en état de colonisation; bien avant que les Anglais n'aient besoin d'un passeport pour Penplico.

La limite en était les routes d'Argentan et de Vimoutiers. La liberté y fut déclarée, républicaine et obligatoire, sur tous ses territoires et, bien entendu, extensible aux environs. Tout cela après de multiples séances de travaux préparatoires, généreusement arrosés de tout ce qui contribue à la victoire sur la soif et ses conséquences. Comme dans tous les régimes qui se réfèrent à des hommes de haute valeur intellectuelle, les néo-républicains se mirent sous la protection de Ferdinand Repu dont ils pratiquaient les enseignements (ex-avant précurseur de la démocratie). Tous ces citoyens ne faisaient que continuer ce que laissaient les politiciens fin de siècle, épousant avec une belle continuité le culte des grands ancêtres, de leurs discours et de tout ce qui fait le charme de la démocratie.

Une extension (ou le ralliement) de Magny fut décidée et fêtée comme il se doit. Le Préfet de la butte St Thibaud, en l'occurrence le père Maurin le rappela et le justifia historiquement comme cela se passe entre les états modernes qui copient les Anciens. Dans son discours, il rappelait les traditions qui venaient de la nuit des temps, avec la conviction et l'allure des pères nobles de la Comédie Française, ou des membres de l'Académie du même nom. Tout cela avec, bien entendu, un rappel des faits et dires de Ferdinand Repu et avec tous les honneurs qui lui étaient dus. Il y eut quelques rosseries sur la politique locale et générale, qui furent compris alors, mais maintenant oubliés bien entendu, c'est le fait même d'une république.

Une autre année, Trun-Bourg ayant trois horloges ( mairie, église,hospice), la R.L.H.T. décida d'en installer également une sur son territoire pour ne pas être considérée comme sous développée et afin de pouvoir mesurer l'histoire. Cela donna l'occasion d'une inauguration avec la pompe républicaine qui, comme les tripes, vous tient au corps. Il fut décidé aussi d'avoir accès à la mer par la Dives et, ce qui était la suite logique des choses, de créer une Marine Républicaine (et non Royale).

Un mécène, ayant offert l'horloge de l'hospice et des plaques de marbre, se rappela encore au souvenir de ses concitoyens en participant au frais du boulevard Magny qui relie cette extension de la République à la cité mère. Tout cela attirait les populations venues d'esbaudir. C'était la fête, avec bals en plein air gratuits et républicains. Les rosseries de certains discours semi-officiels ayant trait à la vie ou à la politique locale n'échappèrent pas aux renseignements généraux qui devaient suivre ces manifestations. Leurs rapports devaient être amusants à lire avec le recul du temps sur cette espèce de Clochemerle normand. Il faut vous dire que le Conseil des Ministres de la R.L.H.T. avait un ministre des Loisirs pour le bien des gens fatigués ou susceptibles de le devenir (et ceci bien avant Léo Lagrange, 1936). Donc le ministre des Loisirs actuel n'est que le successeur de Ferdinand Repu et de ses joyeux disciples.

Ces néo-républicains étaient aussi en avance sur leur temps en fêtant simultanément un Rosier et une Rosière, sans aucune contrainte imposée par le sexisme d'alors et pour ce qu'il est devenu. Le Rosier qui différait en cela de celui de Mme Husson, avait un âge canonique et n'avait pas été gâté par la nature des points de vue esthétique et physique. Sa compagne étaient dans une situation analogue et, de plus, était borgne. Ils jouèrent le jeu, dans la liesse populaire, bien heureux ?... sans aucun doute.

Le surnom de Rosier et de Rosière leur fut conservé par tous les habitants qui, par quelques repas, de petits travaux de jardinage, leur permettaient de mettre un peu plus de beurre dans leurs épinards, car la Sécurité Sociale et la retraite des vieux n'étaient qu'en état de projets.

Ces faits étaient ceux de la jeunesse qui avait connu la guerre de 14/18. L'automobile, la T.S.F., la télé ont bouleversé et pratiquement arrêté ce genre de joie populaire. Vers 1950 un essai fut tenté pour reconduire les farces de la R.L.H.T., mais la vie était changée et la génération suivante était traumatisée par la guerre 40/45.

Aujourd'hui, dans la région méditerranéenne, les jeunes font des fêtes, de la musique, du théâtre qui recréent, avec les modifications apportées par le monde moderne et ses moyens de diffusion, le plaisir de s'amuser ensemble et de vivre pour le plaisir de vivre.

Charles Malsoute, avril 1982