La lutte contre le bavardage pendant l'Occupation 1940-1944

 

François Villon nous parle des "Dames de Paris qui étaient belles et langagières, avaient de bons becs", et devançaient les autres citadines dans l'art de la moquerie et du qu'en dira-t-on. Tout cela s'amplifia et s'étendit pendant l'Occupation à l'ensemble du territoire, avec des répercussions qui souvent devenaient dangereuses pour ces bavards et ces bavardes.

Ces gens-là pouvaient mettre en cause des personnes qui étaient alors, selon une expression locale, " traînées et malmenées dans les langues", surtout quand il y avait un soupçon d'être résistant ou opposant à l'ordre établi et que cela pouvait amener enquêtes, arrestations, déportations, etc. En ce temps, les machines à laver le linge n'avaient pas atteint l'importance et le nombre qu'elles ont actuellement. Une corporation d'honorables commères venait au lavoir y travailler, comme les habitantes de Trun, pour les lavages familiaux, lessives, etc.

Un personnage local, aujourd'hui disparu, qui fut égratigné par les langues de ces dames, baptisa "temple de la médisance" cette propriété communale d'utilité publique. Comme il était poète à ses heures, il déclara que si on lavait le linge à merveille, en ce lieu, on y salissait son prochain sans pareil. Lorsque ces remarques furent connues de ces dames, cela ne créa pas les conditions nécessaires à un véritable et franc armistice.

Pendant l'Occupation, certaines laveuses faisaient taire les langues trop vives ou impatientes des nouvelles. Cela se passait en douce, le tout surveillé discrètement par les formations de Résistance et des personnes de bonne volonté. Dans d'autres cas, hors des commérages du lavoir, des dames de confiance étaient  déléguées discrètement pour flanquer une sainte frousse à certains et certaines en diffusant des récits d'arrestations qui avaient lieu à X ou Y, en exagérant un peu les conséquences. Cela faisait une crainte et avait un effet salutaire. Une personne décédée depuis, fut chargée de quelques missions de ce genre. Comme elle jouissait d'une confiance reconnue, par l'élément féminin, il n'y eut pas d' échecs dans ces tentatives.

Tout cela était le train-train quotidien; pour d'autres cas d'autres méthodes. Un personnage, qui n'est plus de ce monde, haut en couleurs, l'Abbé V. d'une paroisse voisine, avait la confiance des populations locales et des F.T.P. d'un petit maquis de la région. Il s'occupait aussi de leur ravitaillement et de la sécurité en général, dans la mesure où cela se pouvait, en conciliant tous ces contraires. Pour certains plus délicats, il se déplaça en calmant les faits et dits qui, ensuite rapportés au Curé-Doyen en exercice permit à ce dernier de les chapitrer, en toute charité chrétienne, ou de sonner les cloches à certains et certaines de ses paroissiens à confesse. Les pénitents durent constater que les voies du Seigneur devenaient de plus en plus incompréhensibles et impénétrables.

Dans ce chef-lieu de canton, il n'y eut pas d'arrestations ni de rafles importantes. Quelques cas isolés seulement. Dans d'autres bourgs, il n'en fut pas toujours ainsi. L'action de personnalités neutres ou paraissant l'être, arrondissant les angles et recommandant une double prudence aurait évité des disputes et discussions entre gens d'opinions différentes, lesquelles entraînaient rancoeur, luttes partisanes, bavardages, remarques à la police de Vichy, ou pire à la Gestapo, avec toutes conséquences qui en découlaient. Dans ces conditions, à la Libération, il n'y eut pas d'exagération dans la chasse aux collaborateurs du chef-lieu de canton et, avec le temps, tout cela s'estompa et continue de s'estomper dans la mémoire de ceux qui ont vécu à cette époque.

Charles Malsoute août 1981